Marc 10 . 46 à 52
Récit de miracle, si nombreux dans l’évangile de Marc qui n’en contient pas mois de 18, sans compter les recensions. Miracles toujours étonnants, voire embarrassants pour nos esprits rationnels.
Une première remarque est que ceux-ci ne sont pas là pour mettre en évidence un pouvoir de Jésus, pouvoir divin, sinon un bon miracle grandiose et « bien senti » y aurait suffi !
Ceux –ci ne sont pas non plus là pour susciter la foi, mais sont au contraire le résultat de la foi. Ces deux remarques sont résumées dans la déclaration finale de Jésus « va, ta foi t’a sauvé ! », et non « je t’ai sauvé, et donc crois en moi ».
Ce récit de miracle a la particularité d’être le dernier et se situe avant l’entrée de Jésus à Jérusalem, prélude à la passion.
Il est remarquable par sa précision géographique et personnelle, puisque situé à Jéricho et concernant un personnage nommé, tant lui que sa lignée. Ces précisions nous disent le caractère «incarné » de l’évènement qui met en évidence la « présence réelle » de Dieu dans nos vies . La rencontre avec Lui concerne un individu particulier dans notre monde réel, loin des mysticismes émotionnels ou intellectuels.
Ce trait est souligné par l’importance des sens dans le texte. Il y est question de vue ( aveugle), de voix ( cri), d’ouïe…
La notion de cri me semble tout à fait importante dans ce texte et dans l’ensemble de la Bible.. La Bible est parcourue par le cri des hommes vers Dieu, qu’il s’agisse du psalmiste, des prophètes, de Jonas jusqu’à Jésus sur la croix « Mon Dieu mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ».
Loin d’être une douce romance destinée à calmer les hommes et leur faire oublier leurs souffrances, le message biblique est, me semble-t-il , d’abord, le cri de l’homme face à sa situation de détresse, qu’elle soit existentielle et passagère, ou essentielle ( la mort). Ce cri est celui de nos sociétés, des individus, de chacun d’entre nous. Il pose la question du mal, question qui parcourt les siècles et nourrit un certain athéisme duquel on peut se sentir proche tant il pose LA question du sens de nos vies.
« Quand on se rappelle l’extraordinaire violence des cris de Job et son réquisitoire brandissant impitoyablement tous les arguments de l’athéisme, face aux paroles si souvent édifiantes, si profondément religieuses, si propres à justifier Dieu, de ses amis, on ne peut s’empêcher alors de penser que Dieu est le plus souvent du côté de ceux qui l’attaquent que du côté de ceux qui le défendent, et qu’il est certainement des athées plus proches de la vérité chrétienne que nombre d’apologètes chrétiens. Qu’il est des révoltés que Dieu préfère aux gens soumis de ses Eglises, et que des malheureux criant dans leur angoisse et dans leur nudité qui témoignent de lui plus valablement que les avocats trop sûrs de leur affaire ». Roland de Pury
Cette citation, me semble illustrer parfaitement notre propos. Les disciples veulent faire taire Bartimée . « Beaucoup le rabrouaient pour qu’il se taise. » Ainsi, souvent les « religieux », ces disciples qui se croient dépositaires de la Vérité, tels des propriétaires défendant leurs biens, refusent ils les cris dérangeants de ceux qui posent les vraies questions..
Questions pratiques d’abord : Celles de la pauvreté ( Bartimée mendie ), celles de la souffrance ( il est aveugle), celle de la plainte ( il crie ).
Bien sûr il ne s’agit pas de noircir le trait, bien des institutions humanitaires sont d’origine religieuse et beaucoup s’impliquent dans des actions fraternelles… Mais acceptons nous d’être dérangés ou tolérons nous le questionnement dans certaines limites seulement ?
Plus profondément, et au-delà de l’action La question posée est celle du mal, on l’a dit.., Nous qui nous disons disciples, sommes- nous du côté de ceux qui crient ou des « apologètes, avocats sûrs de leur affaire ? ».Notre « foi chrétienne » ou plutôt nos « croyances dites chrétiennes », celles de nos « Credos » ne sont-elles pas une manière de nous protéger des vraies questions existentielles.
En d’autres mots où se situe notre foi ?
Le texte illustre ce thème de la foi d’une manière étonnante. Celui qui ici fait preuve de foi, n’est pas du groupe des disciples soucieux de protéger leur maitre, il est celui qui crie, du côté de l’empêcheur de tourner en rond dans la quiétude religieuse. Cependant son cri n’est pas en l’air, il a un destinataire précis : « Fils de David, Jésus »,pas plus que le refus de certains athées ne s’adresse au vide. Il s’adresse bien à Dieu ce cri de refus d’un Camus qui dans « La Peste » refuse celui qui laisserait souffrir les enfants. Ainsi se retrouve dans la foi un certain refus d’une fausse image de Dieu. Celle d’un Dieu, grand horloger indifférent siégeant sur son trône et sourd aux détresses. Car Bartimée demande compassion et guérison et s’il crie tant c’est qu’il sait que celui auquel il s’adresse est Amour. Et ainsi par le cri, lui manifeste-t-il sa confiance.
Ce qui fait la différence, c’est la confiance, c’est l’écoute (ici sans doute par ouïe dire ), d’une parole qui met en marche..
« Ta foi, ta confiance t’a sauvé. » dit Jésus, elle t’a sauvé du désespoir et de la peur, car la peur est le contraire de la foi.
Ce qui est signifiant aussi, c’est que cette confiance en une personne, en un Dieu personne, en un Dieu de compassion qui chemine avec nous, cette confiance permet de voir. Bartimée voit le monde comme il ne l’a jamais vu. Puisse notre confiance en ce que nous avons entendu de Jésus, nous permettre à nous aussi de voir le monde comme jamais nous ne l’avons vu, et ce malgré le mal et la souffrance.
Mais aussi Comme Bartimée, que cette confiance nous mette en marche « Il suivait Jésus sur le chemin », Non pour protéger notre doctrine, notre religion, notre église contre les cris du monde, mais pour cheminer auprès de Celui qui a compassion et Amour et écoute les cris de ses frères. C’est là notre vocation de chrétiens.
Jean-Pierre Pairou